«S’il y avait qu’une seule vérité, on ne pourrait pas faire cent sculptures sur le même thème»
Pablo Picasso

 

Souvent c’est un grand éclat de rire sonore et chaleureux qui l’annonce. Immédiatement à sa place, il enlève sa casquette, secoue la tête, ajuste ses lunettes, plisse les yeux et part sans reprendre son souffle dans des histoires échevelées. On y croise des souvenirs, des enthousiasmes ou des colères, des aventures, des histoires, des comptes rendus de lectures, des  commentaires et des débats, et de la mythologie. Basque souvent, donc universelle.

Il raconte la mer et la pêche, sa dernière escapade au pays des toros et des habits de lumière, la montagne qu’il arpente, le canoë sur des lacs méconnus, les collines basques à l’herbe rase survolées par des rapaces, les sentes que dessinent moutons sans bergers ou pottokak sans maîtres, les droits sur la terre, les noms des arbres, les couleurs du bois, les nuages, les rivières et les amis disparus dont les souvenirs secrets se cachent dans certains rochers… parce que c’est la vie en marche qui l’inspire, et jamais la nostalgie.

De dérivations en pérégrinations, d’allers en retours, de rebours en chemins de traverse, on en revient toujours aux sculptures. Celle qu’il vient de terminer ou d’installer, celle qu’il est en train d’ébaucher et qui n’est encore qu’une esquisse dans un carnet, celle dont il surveille la fonte, ou l’assemblage, celle qu’il cire après l’ultime coup de ciseau. Souvent, il rend visite à celles qui sont dans un jardin à Urt, dans un parc à Arcangues, à Saint Pée, ou à l’extrême lame de l’Adour face à l’océan. Ou à celles qui sont chez moi, sous la fenêtre, qui changent avec les reflets de la pluie ou la lumière et au pied desquelles le chat se couche, tranquille.

Il les regarde vieillir, devenir partie prenante de ce qui les entoure. Zigor aime aussi à parler des autres. Des autres sculpteurs, des autres créateurs, de leurs oeuvres, mais aussi des cours qui les entourent, des amis, des ennemis, des batailles et des engagements.

De ce qu’il faut de constance pour traverser le temps, survivre, et affirmer la force d’un travail non négociable. Zigor, bien sûr, suit son chemin. Comme nous tous en somme. Mais il le dessine aussi. Ce qui n’est pas donné à tout le monde. Et à chaque tournant, à chaque embranchement, il regarde par-dessus son épaule, salue celui qui au loin avance dans une autre direction, ou celui que la vie a arrêté. Le passé est bien là qui ni ne s’efface ni ne pèse, mais sur qui l’artiste s’appuie avant de reprendre la route. Zigor marcheur, Zigor conteur, Zigor sculpteur. On tourne autour, et chaque face s’anime, faisant bloc avec les autres, mais parlant sa propre langue, pesant notre rapport au poids et au vide, au plein et à l’espace, au toucher et à la caresse, à notre centre de gravité intime.

La sculpture, peut-être le seul art à rappeler que les choses, toutes les choses,, qu’elles soient de chair, de bois, de bronze, d’acier, de plomb ou de plume, sont forcément attirées vers le centre de la Terre, est un art de pesanteur.

Et pourtant, en un paradoxe inouï, le sculpteur parfois détourne les lois de la physique…

 

Isabelle Darrigrand