Zigor ou la célébration de l’amour

Lorsque je vis pour la première fois le travail de Zigor, dans son atelier de Biarritz, je fus frappé par la sensualité des formes et des volumes. Petit à petit, c’est le matériau lui-même qui m’apparut sensuel et voluptueux. J’allais par la suite découvrir que ces qualités qu’il conférait au bois étaient pour l’artiste d’une richesse inépuisable.

Zigor sculpte le bois et le bois devient le sujet essentiel de sa sculpture. Il en voit de toutes les couleurs, le bois, livré aux outils manipulés par le sculpteur, il peut lui arriver, au bois, d’endurer des épreuves douloureuses « comme celle du chalumeau », mais, fier du parti qui sera tiré de ses noeuds, ses fibres et ses veines, il sent où le créateur veut en venir.

Zigor aime d’amour son matériau. C’est son âme qu’il sculpte. Il n’a de cesse que cette âme vive en ses sculptures. Pour ce faire, sans relâche, il polit, repolit, puis polit encore chacune de leurs faces, comme une femme qu’on caresse. Jusqu’à ce que, radieuses, elles captent la lumière et la réfractent.

Notre joie à les regarder sera la joie des oeuvres elles-mêmes. Zigor communique au bois une joie de vivre sous une forme qu’il a créée. Sa force d’enfant d’une terre rude, il la transmet à la matière. Une force sereine. Celle qu’il va puiser dans la forêt des montagnes, au cours de marches ou de méditations au bord des lacs et des torrents. L’arbre, pour Zigor, ne cache pas la forêt. Il cache l’oeuvre qui sommeille en lui et qu’un jour il éveillera.

C’est au cours d’une visite à l’atelier de Mendiburu, chez qui il accompagne un ami, qu’il découvre un jour le métier de la sculpture. Il y a là deux ouvriers qu’il observe, maniant le ciseau, la gouge et le maillet.

A 13 ans, engagé comme ajusteur dans une usine de carrosserie, il a pour la première fois en main des outils dont on lui apprend à se servir. Zigor affirme que cette aptitude aux gestes du travail, acquise dès ce moment, a été déterminante dans sa décision de devenir sculpteur.

Les deux ouvriers de l’atelier de Mendiburu enchaînent des mouvements de mains qu’il connaît. Zigor les anticipe, les coordonne. Ils ressurgissent tels qu’il les a pratiqués au temps de son adolescence. Une évidence s’impose avec force à son esprit. « Je peux le faire ! » Voilà pour ce qui concerne le métier.

Sa préparation à la créativité s’est forgée, sur le plan spirituel, à partir d’une prise de conscience : celle de sa soif insatiable de s’instruire. Il accumule les connaissances, dévore les philosophes, lit Saint Jean de la Croix, se nourrit de mystique et de poésie. Il s’achemine ainsi vers la perception de mondes inconnus. Il découvre que « l’Université n’est pas la seule voie » et que « l’on peut tout faire ».

Il fera de tout. Il militera, s’égarera en politique, s’engagera jusqu’à la mystique. Cela lui coûtera de longues périodes de liberté qu’il mettra à profit pour méditer et apprendre à devenir l’homme qu’il est. Il écrira de la poésie en langue basque – il en écrit et en publie toujours -, couvrira les événements du monde comme reporter-photographe, allant chaque fois jusqu’au bout de ce qu’il entreprend.

La sculpture lui fera découvrir une forme de plénitude. C’est de son plaisir à les créer que nous parlent ses sculptures et ce plaisir devient le nôtre. Sa forte personnalité lui permet de rester sourd aux modes et aux tendances. « Se mettre à nu. Refuser de voir ce que font les autres. » Il a acquis la place qui lui convient et il approche aujourd’hui l’âge où un sculpteur s’apprête à atteindre son point culminant. Il ne renie pas ses sources. « Je reconnais celles de l’école basque. Mais il faut savoir que ni Chillida, ni Oteiza n’ont travaillé le bois. Le fait est que je me sens très basque. Quelqu’un de mon pays qui voit ma sculpture, sait que je suis basque. »

Ses oeuvres, même celles de petit format, sont habitées d’une tension intérieure qui les déborde et les dote d’une présence monumentale. L’expérience en a été faite récemment. Zigor a accepté l’agrandissement, en bronze, à deux mètres cinquante, d’un de ses bois ne dépassant pas soixante centimètres. Le résultat ? Un grand couple cheminant en silence, chargé d’une intériorité à couper le souffle.

Son secret ? Faire confiance à la vitalité et à la générosité de l’arbre, l’aimer d’être aussi intimement lié à la nature, l’aimer d’avance pour les formes qu’il lui permettra de faire surgir. Ces formes sont à la fois gracieuses, puissantes et viriles. Elles sont une célébration de l’amour par leur élan vers le soleil.

« Parfois, elles me dévorent. » Mais il arrive qu’elles se refusent. Cela peut durer des heures ou des jours. Il s’arme de patience. Il sait que pendant tout ce temps où il « ne voit plus », un travail se fait en lui qui le rend apte à capter le signe que ne manquera pas de lui adresser l’oeuvre en travail. Alors, il reprend son maillet.

Paul Haim
Septembre 2000